Les visées impérialistes de la Turquie d’Erdogan ne font plus de doute. Après avoir annexé une portion de la Syrie, envoyé des troupes en Libye, elle tente de s’accaparer des gisements pétroliers dans les eaux territoriales grecques et chypriotes. La transformation de la cathédrale Sainte-Sophie de Constantinople en mosquée inscrit ces velléités dans un néo-ottomanisme de plus en plus agressif. Conquêtes territoriales et réislamisation sur fond de nostalgie pour la grandeur ottomane sont aujourd’hui la boussole politique de la nouvelle Turquie.
La France s’oppose à ces menées en Libye en soutenant le général Haftar face à ses ennemis du Congrès général national dominé par les Frères musulmans et soutenu notamment par le Qatar et la Turquie. Récemment, en Méditerranée, cette opposition a connu une escalade. Le 10 juin, un incident grave s’est déroulé quand une frégate française a voulu interroger un cargo turc et l’inspecter. Sa cargaison était probablement destinée aux islamistes combattant en Libye. L’escorte militaire du cargo n’a pas hésité à « illuminer » trois fois la frégate française Le Courbet. Une sorte de coup de semonce, électronique, avant le feu réel. Un fait rarissime. Du moins entre deux pays membre de l’OTAN. Le 5 juillet en Libye, la base stratégique turque al-Watiya a été bombardée par des avions de combat Rafale. Une implication française est fortement suspectée. Début août, la France s’est retirée de l’opération « Sea Guardian » qu’elle menait avec la Turquie en Méditerranée. Elle entendait ainsi s’opposer au trafic d’armes de son « partenaire » à destination des milices islamistes en Libye.
Depuis, la France s’est portée au secours de la Grèce et de Chypre qui font face aux prospections agressives (destinées à découvrir des gisements d’hydrocarbures) d’un navire sismique turc escorté par des bâtiments militaires. Jeudi 13 août, deux Rafale, le porte-hélicoptères Tonnerre et la frégate La Fayette ont participé à un exercice commun avec la marine grecque au large de l’île de Kastellorizo. Un pas de plus dans l’escalade des tensions avec la Turquie.
Militairement, l’aviation de combat turque est surclassée qualitativement et numériquement par les forces combinées de la France et de la Grèce. Les vieillissants F16 de la Turquie ne sont pas de taille face aux Rafale français. Si Erdogan insiste, ce n’est pas parce qu’il pense que la Turquie peut vaincre mais que la France va se retirer.
Promettant des martyrs en cas de conflits, Erdogan espère voir céder la France aussi facilement qu’Angela Merkel. Terrorisée par les répercutions que pourrait avoir une confrontation avec le président turc, elle avait cédé sur tout lors de la crise des migrants de 2015 et celle de 2020. Emmanuel Macron pourrait ne pas plier aussi facilement. C’est la solidarité européenne qui est en jeu. C’est aussi la crédibilité de la France en tant que grande puissance militaire mondiale.
L’obsolescence de l’OTAN éclate aujourd’hui au grand jour. L’Alliance atlantique repose sur des réalités géopolitiques qui n’existent plus. Héritage d’un monde bipolaire scindé entre américains et soviétiques, elle est incapable d’appréhender les enjeux d’un monde qui renoue avec un choc des civilisations millénaire. Autrefois la Turquie était un allié incontournable de l’Alliance grâce à son armée pléthorique et son positionnement stratégique à quelques encablures de l’URSS. Aujourd’hui cette parenthèse historique est close. Son alliance avec le Qatar, sa complaisance à l’égard de l’État islamique, son chantage lors de la crise des migrants, son soutien à l’islamisme en Europe en font une des plus grandes menaces pour l’Europe et la France.
La menace turque offre à l’Europe la possibilité de s’affirmer comme puissance indépendante. Les prémices d’une prise de conscience s’étaient déjà produites lors de la crise des migrants du début de l’année. Le comportement et la détermination de la France seront décisifs dans l’affirmation d’une Europe-puissance enfin décidée à défendre, militairement s’il le faut, ses intérêts.
Jean-David Cattin
Illustration : Rafale – RIAT 2012