Nous sommes la génération des 30-50 ans, et les médias ne parlent pas de nous. Trop jeunes pour être vieux, trop vieux pour être jeunes : nous ne sommes pas dans leurs radars. Nous sommes pourtant une génération qui a beaucoup à apprendre aux journalistes, analystes et autres commentateurs.
Nés dans les années 70 et 80, nous sommes la première génération de l’Histoire à avoir grandi avec l’immigration de masse. Premiers témoins du contraste entre l’époque de notre enfance et celle de nos enfants, nous avons observé, au fil des décennies, la submersion migratoire et son avatar islamique s’étendre pour imprégner et transformer lentement notre quotidien : l’école, le club de foot, le centre-ville, la salle de boxe, le lieu de travail… De fait, nous sommes la génération qui a, de loin, le plus voté pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle.
Nous sommes aussi la génération des parents d’enfants et d’adolescents. Un statut qui impose de se projeter et de dépasser nos petites personnes. Notre responsabilité vis-à-vis de nos enfants implique de concevoir la politique sur le temps long. Nous ne sommes pas vraiment inquiets pour nos retraites ou la variation du taux de la CSG, mais plutôt hantés par la perspective de voir nos enfants connaitre un jour la guerre et le chaos. Étude après étude, la démographie dessine les contours d’une réalité de plus en plus évidente : la génération de nos enfants sera celle d’un point de bascule décisif. Sur ce sujet, il est indispensable de lire (ou relire) notre commentaire du livre « La ruée vers l’Europe » de Stephen Smith.
Tous les parents ne sont pas pleinement conscients de l’ampleur historique du phénomène de submersion migratoire en cours. Mais, a minima, ils en devinent les prémices. Tous en anticipent en tout cas déjà les conséquences dans leur quotidien, quels que soient leur vote et leur positionnement politique. Beaucoup se saignent au travail pour que l’argent gagné soit dépensé dans des loyers démesurés et des écoles privés, et ce dans un seul but : éviter la racaille à leurs enfants. C’est le coût de la « stratégie permanente de l’évitement », dont parle si bien Thibault Damily, lui-même père de famille en banlieue.
Notre génération est aussi celle dont les propres parents (aujourd’hui retraités) ont été marqués par l’hédonisme post-mai 68. Contrairement à ce qu’ont longtemps affirmé les apôtres de l’idéologie du progrès et du plaisir immédiat, la tradition, la foi et la patrie ne sont pas des notions surannées mais des valeurs indépassables. Notre époque souffre cruellement de leur absence : atomisation de l’individu coupé de ses racines communautaires, déconstruction de la famille, primauté de l’utile, du rentable et du confort sur le beau, le vrai et le sacré. L’avènement d’un Macron, quarantenaire sans enfant promoteur d’une vision de l’Homme affranchi de ses racines, est sans doute l’une des conséquences logiques de ce basculement philosophique.
Mais si notre génération est capable de produire des Emmanuel Macron, elle peut aussi façonner des Arnaud Beltrame. Lui aussi quarantenaire, récemment baptisé, il venait de faire le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle avec son père. Beltrame n’a pas bravé la mort au nom de principes abscons : on ne meurt pas pour les « valeurs républicaines » et la défense du mode de vie de consommateur occidental. Ses proches le disent : c’est d’abord dans sa foi, sa patrie et sa conception de l’honneur que Beltrame a pu puiser la force de s’élever, de combattre et de sacrifier sa vie.
Héros de notre temps mais aussi d’un autre temps, Beltrame incarne notre appétence pour un retour du sacré et de la tradition. Honneur, foi, patrie, souvenir des ancêtres… Son geste héroïque et l’engouement qu’il a pu susciter au sein de notre peuple sans distinction de sexe, d’âge ou de statut social nous rappellent une vérité incontournable : le ré-armement moral de notre génération passe d’abord par le retour d’une transcendance à la fois enracinée et impérissable. Dans « La Cause du peuple », Patrick Buisson dresse très justement les contours de cet immuable retour aux sources en écrivant qu’« aimer la France, ce n’est pas aimer une forme morte, mais ce que cette forme recèle et manifeste d’impérissable. Ce qui demeure, malgré toutes les vicissitudes, une promesse de vie, autrement dit, une promesse d’avenir. Ce n’est pas ce qui mourra ou ce qui est déjà mort qu’il nous faut aimer, mais bien ce qui ne peut mourir et qui a traversé l’épaisseur des temps. Quelque-chose qui relève du rêve, désir et vouloir d’immortalité. Quelque-chose qui dépasse nos pauvres vies. Et qui transcende notre basse époque. Infiniment. »
À l’heure où les plateaux télé reprennent inlassablement l’oxymore de « djihadistes français », complétons également ces propos par une phrase prophétique de Chesterton : « Ôtez le surnaturel, il ne reste plus que ce qui n’est pas naturel ». Dans cette perte de repères ambiante, le geste héroïque et archaïque du pèlerin patriote Arnaud Beltrame est ô combien précieux puisqu’il nous rappelle ce qui est essentiel, ce qui compte et ce qui nous permet de nous dépasser. Ce sacrifice est un appel à la transcendance. Puisse-t-il contribuer à l’éveil de notre génération.
Cyril Raul