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Au-delà des sujets abordés et de savoir qui a « gagné » le débat de l’entre-deux tours, il importe surtout de comprendre que cette rencontre médiatique a permis de confirmer l’apparition de nouveaux archétypes dominants dans la politique française, incarnés dans les deux candidats : le manager mondialisé et la patriote maternante.

Un manager pour les réformer, et dans la mondialisation les lier

Un des reproches les plus communément formulés à l’encontre d’Emmanuel Macron est son arrogance. À tel point que ses conseillers lui auraient suggéré de tout faire pour diluer cette image lors du débat[1]. Sans grand succès, tant le ton qu’il a employé lors de ses échanges avec Marine Le Pen était condescendant. Mais s’agit-il d’une faiblesse ou au contraire d’un avantage ? On peut pencher pour la deuxième solution, tant la radicalisation de l’électorat macroniste a accompagné sa montée en arrogance. C’est finalement assez logique si l’on comprend ce qu’incarne Emmanuel Macron. Sur le plan idéologique, il est un partisan farouche de la mondialisation et de la poursuite de la modernité, ce qu’il incarne sur le plan humain une déclinaison particulière : celle du manager-en-chef. On le sait, la macronie est une technocratie, qui se voit comme une élite économique et technique destinée à réformer la France pour l’amener au forceps dans la mondialisation. Par conséquent, son électorat acquis (retraités, CSP+) se retrouve tout à fait séduit par l’image d’un jeune premier à l’assurance illimitée. Chaque mimique de mépris et chaque remarque teintée de prétention apparaît pour les macronistes comme une confirmation de la supériorité techno-gestionnaire (et donc morale) de leur candidat. Au contraire, faire montre de mansuétude ou de chaleur serait pour lui un aveu de faiblesse et surtout une faute, celle d’accorder aux « réfractaires » et aux non-diplômes (et leurs représentants) une déférence qu’ils ne méritent pas. Cela étant, cette posture ne suscitera pas l’enthousiasme des mélenchonistes qui le soutiendront au second tour – ceux-là identifieront (à juste titre) la posture orgueilleuse du président comme un mépris de classe indécrottable. Orphelins d’une offre politique qui leur sied et dévoués à l’arnaque de l’antifascisme institutionnel, ils n’auront d’autre destin que de se rallier derrière celui qui, pourtant, incarne tout ce qu’ils sont censés détester.

La « Mère patrie » et la féminisation de la mouvance populiste

La reprise en main du Rassemblement national par Marine Le Pen s’est traduite par l’adoption par un cap stratégique particulier (celui de la dédiabolisation) ou par une inflexion idéologique qui l’a éloignée du Front national des années 1980 et 1990 (la proposition du « souverainisme intégral »). Mais ces choix, fondamentalement politiques (et validés, si l’on se fie à sa capacité à rassembler un grand nombre d’électeurs) font partie d’une rénovation plus globale de l’image du national-populisme : aux « hommes forts » se sont substitués des « femmes protectrices ». Aux tribuns virils faisant l’éloge des valeurs disciplinaires et martiales, on préfère désormais des femmes véhiculant des idées plus modérées, moins transgressives et qui, surtout, font appel au registre de l’empathie, de la protection et de la recherche d’un consensus paisible. Par conséquent, la mondialisation est brocardée parce qu’elle incarne l’hypercompétition économique ; l’immigration est une confiscation de l’État-providence au détriment des nationaux les plus défavorisés. Certes, les considérations stratégiques ou régaliennes classiques n’ont pas disparu, mais le ton du discours a évolué. La nation est ainsi vue en premier lieu comme l’espace de l’expression de la solidarité égalitaire concrète et de l’entraide et pas comme le résultat et l’instrument de l’affirmation identitaire d’un peuple unique, destiné à se développer s’il ne veut pas finir soumis.

Dans un contexte de dépolitisation généralisée et d’atomisation sociale, un tel discours semble effectivement destiné à prospérer auprès des classes populaires, à la recherche d’une protection collective, pour se prémunir à la fois de la brutalité économique du marché global et de celle du multiculturalisme.

Y a-t-il un avenir pour les patriarches politiques ?

On pourrait rétorquer à cette analyse qu’elle ne traite pas du cas de Jean-Luc Mélenchon, pourtant arrivé en 3e position avec 21 % des voix. Sans compter que les qualités politiques du tribun socialiste sont universellement reconnues, ce qui semble indiquer qu’il reste une place pour une politique « masculine ». Et pourtant, ces qualités sont aussi à l’origine de certaines des contestations de la gauche à l’encontre de Mélenchon. Un exemple parmi d’autres : au cours de la perquisition du siège de La France Insoumise en septembre 2021, celui-ci s’était exclamé « la République, c’est moi ! », provoquant des réactions indignées ou amusées de la part des commentateurs. Mais ces sorties sont typiquement celles d’un homme à fort caractère et à l’expression explosive. Qui vit par l’exhortation meurt par l’exhortation. Remarquons également que Jean-Luc Mélenchon était le doyen des candidats du premier tour. À 70 ans, on imagine aisément qu’il laissera sa place dans les années qui viennent. Et à en juger par ses héritiers potentiels, son parti ne compte pas remettre un tribun aux commandes.

Éric Zemmour, quant à lui, s’est distingué par la radicalité de son programme. Émissaire acharné de l’identité, sa stratégie consistait à allier un électorat séduit par la fermeté du discours identitaire et par une proposition économique raisonnable d’orientation ordolibérale. Sans surprise, le volet radical de son discours a notamment fait très peur à l’électorat féminin, très peu mobilisé pour le candidat de Reconquête !. Son image médiatique a également surmobilisé l’adversité du corps électoral, habitué à interpréter les discours sans ambages avec l’autoritarisme et la tyrannie. À ce titre, l’intégration de Marion Maréchal dans les hauts cadres du parti constitue un équilibrage salutaire.

À l’heure de la convergence des catastrophes prophétisée par Guillaume Faye, la supplantation de la figure maternelle à droite pose problème. En temps de crise, les valeurs masculines ont tendance à réémerger, rendues nécessaires par les circonstances. On pourrait s’inquiéter de l’effacement des valeurs politiques masculines, mais on pourrait tout autant considérer que l’étape que nous vivons actuellement est transitoire et s’inscrit dans le long réveil des Européens.

Clément Martin

[1] https://www.gala.fr/lactu/news_de_stars/emmanuel-macron-pas-dans-un-cours-de-yoga-cette-soufflante-du-president-a-ses-equipes491980

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