Dimanche 23 avril, minuit. La fête bat son plein à la Rotonde, antichambre des hommes sans attache, citoyens d’un nouveau monde. Jacques Attali, le prédicateur du progressisme et de « l’homme nomade », concept notamment développé dans sa Brève histoire de l’avenir (2006), félicite son jeune poulain. Stéphane Bern, si apte à encenser et défendre l’Art de vivre à la Française – avec un certain talent de vulgarisation – n’est, quant à lui, pas à une contradiction près. Après tout, des révolutions et des discours eschatologiques provenant d’hommes de pouvoir, en France il y en a déjà eu. Mais étonnamment les présences de Prométhée- la Technique contre la Nature , de Robespierre – Tabula rasa – et d’Icare – l’Homme Nomade devrait faire attention à ses ailes – n’ont pas été recensées par les médias. Il n’y a aucun doute que leurs esprits voguaient au dessus des convives, tout comme celui de Madame de Pompadour et son célèbre « après moi, le déluge ».
« il n’y a pas une culture française, il y a une culture en France et elle est diverse », ( Emmanuel Macron, Meeting de Lyon, 5 février 2017) . On pourrait croire cette citation issue du fameux ouvrage L’identité de la France de Fernand Braudel. Braudel aurait ajouté « La France aura vécu sans fin, elle vit encore, entre le pluriel et le singulier : son pluriel, sa diversité vivace comme le chiendent ; son singulier, sa tendance à l’unité, à la fois spontanéité et volonté réfléchie, mais pas seulement volonté. » (L’identité de la France, tome 2)
Au sens anthropologique, d’après la définition officielle de l’UNESCO « dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. »
Or, Emmanuel Macron a dépassé cette définition. Pour lui, la culture n’est plus distinctive, elle est inclusive. Il n’y a plus des cultures qui définissent les sociétés, qui différencient « Nous et les Autres », mais bien une seule et même culture. Celle des privilégiés nomades, celle défendue par Jacques Attali. Le Nouveau Monde est celui des start-ups, de la démago-cratie californienne, des hubs d’aéroport tous identiques à Dubai, Francfort ou Singapour. Les privilégiés doivent pouvoir faire fructifier leur patrimoine, s’amuser, se sentir chez eux, aux 4 coins du globe. Il ne s’agit plus de multiculturalisme au sens mélange du terme, mais bien d’un uniculturalisme. L’étape d’après dans le processus d’uniformisation du monde par la globalisation. Cette uniformisation serait déclenchée par la caste des privilégiés, se déclarant de partout, donc de nulle part, contre tous ceux qui vivent et viennent de quelque part. Le nomadisme contre l’enracinement sédentaire.
Face à cette vision de l’avenir nomade, nous devons être animés par la « Révolution de la proximité », par la promotion et la défense de nos pratiques culturelles. La nature ayant horreur du vide, nous devons être des passeurs de flambeaux, transmettre notre plus longue mémoire, conscientiser les esprits. Comme tous nos ancêtres avant nous. Cette thématique de la culture enracinée est, dès lors, profondément politique. Il s’agit d’un enjeu majeur de civilisation. Lutter contre l’uniformisation des pratiques culturelles, c’est lutter pour la démondialisation et la défense de la polyphonie du monde. Défendre nos particularismes culturels, sans cesse les pérenniser par la création et l’incarnation dans le présent, c’est se battre pour l’Identité, de nos régions, de nos nations, de l’Europe.
Guillaume Vingtras