À la fin du XVIIe siècle, Louis XIV rayonne. Il a mis au pas sa noblesse et rivalise avec le Saint-Empire romain germanique. Celui-ci, autour de l’Autriche, est l’ultime ligne de défense de l’Europe occidentale face aux Turcs. Ces derniers sont le repoussoir identitaire des « Européens », qui découvrent alors la communauté de civilisation qui les unit. Malgré l’engagement commun au Saint-Gothard (Hongrie), en 1664, où ils repoussent les Ottomans, Français et Autrichiens demeurent des rivaux. Même s’il ne renie pas l’alliance franco-turque engagée par François 1er, et source de scandale sur le Vieux continent, Louis XIV se veut aussi un chevalier chrétien et tente de donner des gages aux autres têtes couronnées ainsi qu’au pape. Des gentilhommes français ont toujours combattu les Ottomans (Rhodes en 1541, Malte en 1565, Lépante en 1571…) malgré la diplomatie pro-turque de leurs souverains. Les pirates barbaresques d’Afrique ne se gênent pas, de leur côté, pour attaquer les vaisseaux français en Méditerranée.
À la fin des années 1670, une paix précaire a été décidée entre les Impériaux et la Sublime porte. Mais en 1682, les Ottomans mettent toutes leurs forces dans la balance pour en finir avec l’ennemi héréditaire : 125 000 cavaliers, 65 000 fantassins d’élite et 10 000 artilleurs formés par les Français. A quoi il faut ajouter 44 000 Hongrois et Tatars de Crimée, ramassés sur le chemin. Début juillet, ils campent sous les murs de Vienne et commencent à miner les murailles de la capitale impériale. Face à près de 250 000 Turcs, la garnison autrichienne compte 11 000 fantassins et 5 000 miliciens.
Le siège est lancé ! Il faudra attendre deux longs mois pour voir arriver, le 12 septembre, l’armée polonaise de Jean Sobieski. Ses hussards, dont les ailes produisent un vrombissement terrible, chargent avec fureur. Ils sont épaulés par le duc de Lorraine. L’assaut détruit la confiance ottomane et le reste de l’armée chrétienne coalisée achève les Ottomans en déroute, le vizir lui-même fuit le champ de bataille. Sobieski ne voulait pas seulement sauver Vienne mais éradiquer les Turcs. Pour ce faire, il engage une chevauchée jusque sur la rive gauche du Danube, où le 12 octobre, il écrase les Turcs une fois encore. L’armée ottomane est défaite, elle n’avancera plus jamais vers l’Europe occidentale.
La bataille de Vienne et la poursuite menée par Sobieski sont le « Poitiers européen ». Le roi de Pologne, non héréditaire mais élu par les nobles de son pays, est admiré et remercié dans toute l’Europe. Pour fêter l’événement, l’Eglise solennise la date du 12 septembre avec la « Fête du Saint Nom de Jésus ». Comme le rappelle Jean de Brem, « Jean Sobieski n’a aucun intérêt à soutenir l’Autriche. De plus Léopold [l’empereur] a combattu son élection en 1674. Mais Jean Sobieski n’écoute ni ses rancunes, ni son intérêt. Il a une très haute idée de sa mission. C’est un croisé. (…) Il a sauvé la chrétienté et l’honneur européen » (Testament d’un Européen, tome II, 1964). La petite histoire, enjolivée, raconte que les boulangers, levés tôt, ont prévenu la garnison autrichienne de l’arrivée des Turcs. Pour les fêter, on leur a commandé une « viennoiserie » symbolique : le croissant, inspiré du symbole de l’islam et étendard ottoman.
Clément Martin
Sources : NRH n°16 p.48 à 51 et Jean de Brem