Peter Thiel est un milliardaire américain (dont la fortune est estimée à 5 milliards de dollars) connu pour être l’un des co-fondateurs de PayPal et le premier investisseur externe de Facebook, ainsi que l’auteur de De zéro à un : Comment construire le futur, un manuel pour les entrepreneurs au xxie siècle. Mais Thiel n’est pas seulement un acteur de premier plan de l’économie du numérique : sa culture politique (il est un lecteur de Saint Thomas autant que de Leo Strauss) fait de lui un observateur hétérodoxe de la vie politique en Occident. Depuis près d’une dizaine d’années, il a donné un nombre important d’interviews et de conférences au cours desquelles il expose sa vision du monde sur des sujets tels que l’avenir du capitalisme ou la stagnation du progrès technique. À plusieurs reprises, il a formulé 3 scénarios possibles pour l’avenir de l’Europe : la domination islamique par la charia, l’adoption du totalitarisme chinois permise par l’intelligence artificielle ou l’utopie écologiste menée par des figures telles que la jeune suédoise Greta Thunberg.
Ces 3 destins possibles pour notre civilisation nous informent à la fois sur les forces qui sont à l’œuvre dans notre environnement politique et culturel ainsi que sur la marche à suivre pour préserver notre identité. Les constats d’un américain comme Peter Thiel sont ainsi proches du diagnostic d’un Guillaume Faye.
La guerre des utopies dans l’archipel européen
Chacun des scénarios présentés par Thiel est le reflet de la vision du monde d’un segment spécifique de la population qui vit en Europe. Selon où l’on se place sur l’échelle économique, politique ou ethnique, on appellera de ses vœux l’avènement d’un de ces avenirs possibles plutôt qu’un autre.
Le scénario islamique correspond aux espérances des populations musulmanes vivant en Europe. Derrière le discours factice des « musulmans modérés » se cache en réalité une observation des plus élémentaires : l’écrasante majorité des adhérents à la foi musulmane préfèrerait vivre dans un pays structuré par la loi islamique que par un autre système de valeurs. Les fanatiques de la diversité, parfois qualifiés d’ « islamogauchistes », qu’ils le veuillent ou non, accompagneront leurs petits protégés dans la construction de cet enfer sur Terre, au nom de la sacrosainte soumissions aux minorités ethniques. Le port de la burqa pour les femmes et la prise de pouvoir politique par les imams finira de transformer l’Europe en terrain de jeu pour ses ennemis multiséculiers.
Quant à l’option totalitaire chinoise, elle est bien entendue favorisée par les gouvernements d’Europe de l’Ouest, adeptes de longue date de l’anarcho-tyrannie et du musellement de l’opposition, comme en témoigne leur admiration plus ou moins déclarée pour la gestion chinoise de la crise du Covid-19. Les managers aux commandes des nations du Vieux Continent sont persuadées que leur mission (gérer l’économie, promouvoir l’égalité politique et l’efficacité de la gouvernance) est un mandat divin : la destruction de la liberté en Europe n’est ainsi qu’un maigre prix à payer pour finir de transformer notre civilisation en grand marché pacifié.
Enfin, l’utopie environnementaliste (dans sa version dominante) est principalement le reflet des aspirations des citadins, des winners de la civilisation, bref, des fameux « bobos », acharnés à conserver leur mode de vie en même temps qu’ils combattent les émissions de CO² et la pollution. Les métropoles françaises et européennes, qui abritaient autrefois le cœur battant de la vitalité et de la puissance innovatrice de l’Occident, ne seront plus que des espaces de co-working géants, peuplés de vélotaffeurs désireux de limiter leur bilan carbone au maximum, quitte à ne plus faire d’enfants et à se laisser mourir dans l’anesthésie moralisatrice de la propagande verte.
Il n’est d’ailleurs pas impossible que la société archipélisée que nous connaissons actuellement donne naissance à une sorte d’hybride de ces 3 avenirs, cohabitant bon an, mal an dans une bouillie civilisationnelle : d’un côté, les bobos métropolisés, fiers de voir leurs conditions de vie s’effriter tant qu’il leur est permis de concevoir leur appauvrissement comme un sacrifice pour la banquise arctique. De l’autre, les poches islamisées, principalement situées dans les banlieues et certains territoires périurbains, progressivement séparés du reste de la société, gagnant lentement (mais sûrement) en influence, au fur et à mesure que le scénario d’un Liban français se matérialise. Au-dessus, un gouvernement totalitaire et managérial, bien décidé à utiliser tous les outils à sa disposition pour éviter l’explosion entre des tribus antagonistes et pour faire en sorte que, pour au moins quelques années encore, la courbe du PIB puisse continuer de progresser.
Le 4e scénario politique : l’archéofuturisme
Force est de constater le grand absent de cette compétition pour le siècle qui vient : le peuple de droite. Enraciné, travailleur et désireux de vivre d’une façon libre et digne, celui-ci peine pourtant à générer un véritable espoir dans l’avenir. Ses défaites électorales vont de pair avec une mise à l’écart dans les grands canaux de la culture. Cet état de fait peut sembler d’autant plus étonnant que ce peuple constitue une large part de la population européenne (pour ne pas dire sa majorité) et nourrit des aspirations considérées comme des plus saines et des plus normales (en tout cas jusqu’aux décennies récentes).
Mais pour tout gramsciste de droite qui se respecte, cette difficulté à générer de l’enthousiasme dans la vision du monde de la droite de la « normalité » s’explique sans mal : la volonté de la droite de « revenir à une société normale » trahit son caractère profondément réactionnaire et donc impuissant. Les enjeux politiques majeurs du xxie siècle sont soit mis de côté (détérioration du patrimoine écologique de l’Europe, grave crise du modèle économique mondialisé, contrôle du progrès technique et rapport à la technoscience) ou présentés comme de simples obstacles temporaires, auxquels il suffit d’apporter une réponse ponctuelle afin de revenir dans le droit chemin (le problème de l’immigration est simplement vu comme une mauvaise gestion des flux plutôt que comme l’augure de conflits démographiques et civilisationnels de grande ampleur pour les prochains siècles). On le sent à travers ses discours et ses éléments de langage : la droite française (pour ne citer qu’elle) est tout entière baignée de la nostalgie du gaullisme et en creux, des années 60. Certes, elle parle à des segments importants des classes populaires (blanches), des classes moyennes paupérisées et même à la bourgeoisie patriote, mais par dépit plutôt que par ralliement enthousiaste. Son regret d’un folklore politique qui a déjà près de 50 ans de retard – celui d’une conception assimilationniste de l’identité, d’une conception purement hexagonale de la politique quand il ne s’agit pas carrément du « temps béni des colonies » – ne saurait créer une véritable vision cohérente et enthousiasmante. Tout au plus, il s’agit d’un refuge dans la recréation synthétique d’un passé déjà dépassé depuis longtemps.
Pour accéder à la compétition des consciences, il est temps de faire un aggiornamento des fondations doctrinales de la droite pour enfin la rendre pleinement identitaire : si ce travail s’annonce difficile et long à mener, il est néanmoins vital pour que la droite ne subisse pas la marginalisation intégrale. Heureusement, des bases doctrinales existent déjà, au premier rang desquelles on peut citer l’archéofuturisme de Guillaume Faye. Celui-ci avait compris que la « convergence des catastrophes » (ethnique, économiques, écologique, politique) constituerait un moment charnière pour l’histoire de la civilisation européenne. Celle-ci ne pourra jamais revenir à la vie paisible et familière du xxe siècle mais se doit de regarder en face les enjeux du xxie. Le temps n’est pas aux discussion sur le point d’indice des retraites, à l’ « immigration choisie » ou à la « lutte contre le racisme et pour l’égalité des chances » : l’heure est à la constitution d’une puissance européenne, capable de faire respecter ses intérêts sur son territoire et sur le globe, à la reprise du développement du progrès technique et scientifique, à l’affirmation de notre identité millénaire, à la fermeture de la parenthèse égalitariste de notre histoire et à la fin du règne d’une classe dirigeante parmi les plus incompétentes et les plus corrompues que nous ayons connues. Il faut se débarrasser de la mièvrerie républicaine ambiante, mais ne surtout pas retomber dans une nostalgie romantique paralysante. Plus généralement, les débats du passé doivent rester au placard pour laisser place à un seul questionnement : comment garantir l’ordre, la liberté, l’identité et la puissance des peuples européens pour éviter notre disparition ? Tout le reste est secondaire.
L’archéofuturisme, c’est-à-dire la réconciliation des valeurs originelles et des avancées de la technoscience permet à la fois de répondre aux grands défis du temps présent et de l’avenir, mais également de proposer une vision mobilisatrice pour les peuples d’Europe : tant sur le plan du concret que du rêve, c’est cette vision et pas une autre qui a le potentiel de séduire les Européens et de s’assurer que notre avenir ne soit ni celui de la charia, ni celui du crédit social, ni celui de la dictature moralisatrice du progressisme béat.