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L’année 2022 a été riche en leçons politiques : parmi elles se dégage l’idée que l’ère des campagnes politiques arrive à son terme. Désormais, la compétition démocratique n’est plus synonyme de travail de mobilisation d’un électorat. Dans la France archipellisée, la concurrence électorale consiste de plus en plus à suivre les tendances à la hausse ou à la baisse des différents blocs socio-économiques et culturels et à mesurer leurs poids aux différents scrutins.

Le paradoxe Reconquête !

Malgré une campagne marquée par un travail colossal de mobilisation sur le terrain, le parti mené par Éric Zemmour n’a pas réussi à combler les attentes de son électorat : avec 7 % au premier tour, il s’agit sans conteste d’un échec glaçant. Pourtant, la frénésie du travail militant et de l’enthousiasme autour de sa campagne rappelait celles du Sarkozy de 2007. Qu’il s’agisse du dynamisme de Génération Z, le mouvement jeunes du parti, omniprésent pour ses collages ou des meetings publics du parti culminant avec la foule en liesse du Trocadéro, un point de rendez-vous devenu classique pour la droite, il ne faisait aucun doute que le travail sur le terrain avait été mené tambours battants. À droite, aucun candidat ne s’était donné autant de mal pour conquérir les esprits et générer une dynamique – et cette stratégie s’est soldée par un échec.

A contrario, Marine Le Pen a mené une campagne marquée par le sceau de la discrétion. Tout comme Emmanuel Macron, d’ailleurs. Et ce sont eux qui ont atteint le second tour, avec des scores supérieurs à ceux du scrutin présidentiel précédent. Certes, il est habituel que les présidents sortants préfèrent mener des campagnes courtes et tardives plutôt que de se prêter à un bras de fer médiatique sur de longues périodes. Mais rarement la logique n’a été poussée aussi loin : Macron n’a fait qu’un unique meeting et dont le public était clairsemé. Quant à Marine, alors que sa position de challenger l’incitait à redoubler d’efforts pour sa campagne, elle a préféré conserver l’attitude distante qu’elle avait adoptée depuis plusieurs mois.

Idem aux législatives : la stratégie du Rassemblement national a consisté à envoyer un maximum de candidats dans les circonscriptions et à faire des campagnes minimums. Pour les candidats macronistes, la même stratégie a été adoptée : certes, le résultat a été décevant pour le parti présidentiel, mais cette issue en demi-teinte s’explique bien plus par le bilan du président que par son absence de campagne. Il semble désormais acquis que des rues vides de militants puissent se solder par des isoloirs remplis. L’inverse apparaît comme bien moins plausible.

La démocratie en archipel

Selon la terminologie de Jérôme Fourquet, la France est « archipellisée », définie par la rupture de ses grandes structures culturelles (Église catholique, Parti communiste) qui faisaient naître un sentiment d’appartenance commun au-delà des clivages (bien réels cependant) de classe, de religion ou de territoire. Notre pays se résume à une juxtaposition de catégories qui ne partagent plus aucune référence commune et ne se sentent aucune proximité avec les membres des autres îlots. La conséquence électorale de ce découpage, c’est que la politique se réduit à une compétition entre des représentants de ces segments. Les retraités et les CSP+ du tertiaire voient en Macron leur incarnation, tout comme les étudiants, les fonctionnaires et les immigrés s’identifient à Mélenchon. Pour la France périphérique de souche, la figure providentielle est sans conteste Marine Le Pen. Aucun pont n’existe entre ces catégories et aucune concurrence ne saurait s’opérer entre plusieurs candidats pour récupérer les électeurs déjà inscrits dans un bloc.

La tripartition du paysage politique s’accompagne d’une forme d’autisme collectif : chacun se base sur ses ressources médiatiques, évolue dans son milieu et prête une quasi-allégeance à son candidat. Les déterminismes de classe ou d’appartenance ont remplacé la réflexion rationnelle censée fonder la démocratie – puisque chacun est déjà acquis à une personne, qui fait office de marque politique, la pertinence des campagnes électorales s’amenuise. En effet, il n’y a aucun intérêt rationnel à dépenser des quantités importantes de ressources (argent, temps, énergie) à convaincre des Français déjà captifs de leur option électorale. Simultanément, les abstentionnistes semblent de plus en plus inaccessibles, résignés à l’indifférence politique. Aujourd’hui, le rituel de l’élection revient à compter les membres des tribus politiques qui composent la France.

La démocratie libérale française semble se gripper et se solder par des blocages toujours plus importants. La question est de savoir si cet état de fait est la conséquence des seules institutions de la Ve République (dont la chute pourrait se solder sur un déblocage), ou s’il s’agit d’un désaveu et d’une résignation politique plus globale. L’affrontement qui s’annonce entre un parlement à la majorité introuvable et un président en pleine effervescence messianique apportera rapidement la réponse à cette question.

Clément Martin

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