La francophonie désigne l’ensemble des personnes et institutions qui utilisent le français dans le monde. L’existence de cet espace linguistique partagé a permis la constitution d’une multitude d’associations et de regroupements. Parmi ces organisations, on peut citer les associations professionnelles, les regroupements d’écrivains, les réseaux de libraires, d’universitaires, de journalistes, d’avocats, d’ONG et, bien sûr, de professeurs de français.
De toute évidence, la francophonie peut être utilisée comme un levier d’influence et de rayonnement politique et culturel pour la France. Notre langue contient une richesse immense, et peut légitimement faire notre fierté. Néanmoins, la francophonie jouit parfois aussi d’une aura démesurée, y compris dans les milieux « patriotes ». Au nom du chauvinisme français, de la nostalgie d’une gloire passée (parfois teintée de colonialisme), la francophonie est considérée comme intrinsèquement positive, dénuée de tout défaut et dont il serait extrêmement malvenue de faire la critique.
Dès ses débuts pourtant, la francophonie a été mélangée aux idéologies du déracinement. Popularisée par Léopold Sédar Senghor (premier écrivain africain de l’Académie Française), celui-ci pensait la francophonie comme la rencontre autour du français d’une multitude de peuples différents, et la possibilité de les fédérer dans un idéal culturel et linguistique. En effet, il avait notamment écrit que « la francophonie, c’est cet Humanisme intégral, qui se tisse autour de la terre : cette symbiose des « énergies dormantes » de tous les continents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur complémentaire » (article dans la Revue « Esprit », novembre 1962).
La francophonie s’est également rapidement développée autour d’espaces institutionnels où existe cette même volonté idéologique mortifère, notamment l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) qui vise à promouvoir la langue française et les relations de coopération entre les 84 États et gouvernements membres ou observateurs de l’OIF. Dans sa charte, les objectifs de la francophonie sont ainsi désignés : « intensification du dialogue des cultures et des civilisations » et « rapprochement des peuples par leur connaissance mutuelle », le tout bien évidemment avec une volonté de soutenir partout « Les Droits de l’Homme ».
La francophonie et l’identité, loin de se compléter harmonieusement, vont au contraire s’opposer de plus en plus. A l’heure des migrations de masse (et des flux monstrueux qui s’annoncent), savoir que le Congo est le premier pays francophone du monde n’est pas une nouvelle rassurante. Les pays africains francophones totalisent déjà 410 millions de personnes en 2017, soit presque 1/3 de la population du continent africain. D’ores et déjà, il y a plus de francophones en Afrique qu’en Europe. Il n’y a guère lieu de s’en réjouir.
Plus de 275 millions d’individus parlent français (rapport OIF, 2014) ce qui en fait la 5e langue la plus parlée au monde. L’étude de la banque d’investissement Natixis, citée par Challenges, intitulée « La francophonie, une opportunité de marché majeur » (2013), est allée jusqu’à prédire que « le français pourrait être [en 2050] la langue la plus parlée dans le monde, devant l’anglais et le mandarin », par plus de 800 millions de personnes. D’autre part, selon l’OIF, 85% des francophones seront en Afrique en 2050 tandis que les Européens n’en représenteraient plus que 11 %. Compte tenu du vieillissement prévisible de la population en Europe, l’Afrique comptera plus de 90% des jeunes francophones de 15-29 ans en 2050.
Ces projections se heurtent à un paradoxe tragique : la langue française pourrait donc devenir la langue la plus parlée au monde en 2050, soit au moment même où certains démographes (comme Jean-Paul Gourevitch) estiment que les Français de souche, le peuple historique de France, deviendra minoritaire sur son propre sol.
La francophonie ressemble au Dieu romain Janus : elle possède deux visages, l’un comme vecteur de rayonnement indéniable pour la civilisation française, l’autre, sa face sombre, où son développement (notamment en Afrique) participe à faciliter l’immigration massive dans notre pays. Le fétichisme autour de la langue française – présentée parfois par certains exaltés comme l’élément le plus constitutif de notre identité – doit être tempéré. La distinction entre une francophonie comme outil de puissance géo-stratégique et une francophonie idéologique, dénuée de toute vision identitaire est nécessaire. Dans ce dernier cas de figure, elle devient même une machine de guerre contre notre identité. Encourager des centaines de millions d’africains qui ne rêvent que d’émigrer en Europe à apprendre notre langue relève du suicide. D’autre part, que nous importe si le Français devient la langue la plus parlée dans le monde si les Français de souche ont disparu ?
Jérôme Barbet