Deux mois après la tentative de meurtre de quatre policiers par des racailles à Viry-Châtillon, et le mouvement de protestation qui a ensuite traversé la Police nationale, l’heure est venue de revenir sur le malaise ressenti au sein de la police.
À longueur d’articles de presse ou d’interviews, les policiers ont exprimé les problèmes rencontrés dans leurs relations avec le public. Flics de base affectés en police-secours, baqueux au sang chaud, OPJ gérant la petite délinquance quotidienne, tous ont dit qu’une partie de la population était en conflit avec eux.
Ces flics lambda, pas particulièrement politisés, pas encadrés par les syndicats, peu organisés, ont fait entendre des revendications corporatistes visant à être mieux protégés, mieux sécurisés dans leurs missions quotidiennes. Revendications que le gouvernement, terrifié à la vue de cette fronde policière, s’est empressé de satisfaire pour la plupart.
Mais, çà et là, des journalistes ou des universitaires se sont demandés d’où venait ce conflit. Car oui, comment se fait-il que la police française soit à ce point en conflit avec la population qu’elle est sensée servir ?
Et nombreux sont ceux à avoir dit que, si la police française n’était pas particulièrement aimée, c’est bien parce qu’elle n’est pas particulièrement aimable. Tournée sur elle-même, insensible aux préoccupations des citoyens, plus soucieuse d’interpellations que de paix civile, centrée sur le maintien de l’ordre et les missions de souveraineté au détriment de la vie quotidienne… Les oreilles de la maison Poulaga ont dû quelque peu siffler à cette occasion.
Et le fait est que ce tableau est en bonne partie vrai. La police française est historiquement hyper-centralisée ; au lieu de considérer qu’elle doit servir la population, elle se concentre surtout autour du pouvoir pour en assurer la stabilité.
Si cette situation donne généralement lieu à des rapports polis mais distants avec la majorité de la population, les rapports entre la police et les minorités sont empreints de tensions, d’oppositions, d’affrontements larvés pouvant donner lieu à des émeutes.
La solution à la crise policière est donc toute trouvée. Il faut que la police évolue, apprenne à se tourner vers le public, à prendre en compte ses demandes. Les policiers doivent être plus courtois, plus respectueux, moins brutaux envers les citoyens. Et surtout, la police doit s’ouvrir aux minorités, aux groupes sociaux défavorisés, aux relégués de la société.
Ainsi, le conflit latent entre la police et une partie de la population s’apaisera, la violence baissera, tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes et nous pourrons tous danser une grande farandole la main dans la main en chantant des comptines.
Sauf que la France n’est pas le premier pays à se poser cette question. Les États-Unis et la Grande-Bretagne, notamment, ont mis en place, les décennies passées, des politiques de community policing (« police communautaire », qui correspond grosso modo à la police de proximité française) basées sur une amélioration du rapport entre la police et les minorités.
Et le résultat ? Il est, c’est le moins que l’on puisse dire, assez mitigé. Certes, après les grandes émeutes raciales qui ont traversé la Grande-Bretagne et les États-Unis dans les années 1970-1980, il y a eu des commissions d’enquêtes, des rapports parlementaires et des politiques publiques d’amélioration des relations entre la police et les minorités. Certes, les polices britanniques et américaines se sont mises à entretenir des rapports avec les responsables communautaires, à aller à la rencontre des populations, à se lancer dans le problem solving policing (littéralement « police de résolution des problèmes », que l’on pourrait plutôt traduire par police du quotidien).
Mais le résultat ?
Le résultat, ce sont les émeutes de Londres en 2011. Ce sont les émeutes raciales qui déchirent les États-Unis de façon plus ou moins régulière (Fergusson, Milwaukee, Charlotte…). Le résultat, c’est que malgré les millions dépensés, les policiers formés, les chefs communautaires rencontrés, les rapports sont toujours aussi tendus entre les polices britanniques et américaines et les minorités qu’elles ont à gérer.
Alors peut-être y a-t-il un peu moins d’émeutes ou de violences urbaines dans les pays anglo-saxons qu’en France. En supposant que cela soit le cas – et cela reste à prouver –, il ne s’agirait guère que d’une différence de degré, pas de nature.
Mais alors, qu’est-ce qui ne va pas ? Pourquoi des polices aussi différentes que la police française (hyper-centralisée, orientée vers la protection des institutions et le maintien de l’ordre) et la police britannique (décentralisée, orientée vers les communautés locales et la délinquance quotidienne) ont-elles des rapports à ce point similaires avec les minorités ?
La réponse à cette question est en fait assez évidente. Aussi séduisante que soit l’idée d’avoir une police ouverte sur les citoyens et entretenant de bonnes relations avec les communautés locales, cela n’est possible que dans le cadre d’une société globalement pacifique. Pour que le policier moyen puisse aller taper la discute avec des jeunes, il ne faut pas que ces mêmes jeunes l’aient caillassé la veille. Pour qu’il aille prendre un thé dans un kebab, il faut que ce kebab ne soit pas soupçonné de servir à blanchir l’argent de la drogue. Pour que le policier aille échanger avec l’imam du coin, il ne faut pas que la mosquée dudit imam ait été perquisitionnée dans le cadre de l’état d’urgence. Pour que le policier ne fasse pas peur à la mère de famille et à ses enfants, il faut qu’il se sente suffisamment en sécurité pour ne pas avoir besoin de s’équiper d’un gilet tactique et d’un fusil à pompe quand il va perquisitionner un trafiquant de drogue.
Si le policier moyen n’ose pas mettre pied à terre sans avoir le doigt posé sur la queue de détente de son flash-ball, s’il sait que les jeunes avec qui il est sensé discuter sont des fouteurs de merde qui pourrissent la vie des honnêtes gens, s’il a la peur au ventre lors de chaque interpellation à cause des risques d’émeute, peu importe la dernière circulaire ministérielle et les coups de menton du ministre de l’Intérieur. Les relations entre les policiers et la population resteront tendus, voire franchement hostiles.
Le réel, implacable, n’a que faire des grandes théories criminologiques.
Certes, l’attitude de la police peut être génératrice de violence, ou au contraire d’apaisement. Mais c’est un jeu à deux, et les accusateurs de la police oublient bien vite que les policiers font quotidiennement face à la racaille de la pire espèce. Les exemples anglo-saxons prouvent bien que, malgré toute la volonté politique du monde, agir sur la police, même sur le long terme, ne suffit pas à apaiser la situation.
De toute façon, sous l’effet des violences urbaines, de la lutte contre le trafic de drogue et des attentats, la police française s’est, par nécessité, engagée dans un processus de militarisation. Aux lanceurs de balle de défense, grenades de désencerclement et pistolets à impulsion électrique de l’ère Sarkozy ont succédé fusils d’assaut G36, casques lourds et, bientôt, véhicules blindés pour patrouiller en zone sensible. Il n’y a pas le choix : c’est soit la militarisation, soit voir la police impuissante face aux émeutiers ou aux terroristes.
Se focaliser sur l’institution policière est donc une erreur. Si nous voulons pacifier nos sociétés, il faut nous demander pourquoi est-ce que celles-ci sont globalement de plus en plus violentes.
Et il va bien falloir réaliser que si les sociétés françaises ou britanniques sont de plus en plus violentes, c’est bien en raison de la présence en leur sein de minorités. Toutes les études sérieuses[1] ont largement prouvé et démontré que les populations issues de l’immigration sont plus délinquantes que les populations autochtones.
Plus largement, c’est la cohabitation de communautés ayant des mœurs et des pratiques culturelles différentes qui crée naturellement, et de façon inévitable, des tensions dans la vie quotidienne. Ce sont ces problèmes de cohabitation, plus que toutes les bavures policières – réelles ou supposées – du monde qui créent la violence, les conditions de l’émeute et la militarisation de la police.
Tourner la police vers les citoyens plutôt que vers le pouvoir, l’orienter vers un pouvoir par consentement plutôt que par contrainte et la démilitariser est une excellente idée. Tout pays pacifique et apaisé ne peut que souhaiter que sa police prenne cette orientation.
Mais la France n’est plus un pays pacifique et apaisé.
Gabriel Florent
[1] http://fr.novopress.info/178215/immigration-delinquance/