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L’annonce de la fin du franc CFA dans une partie des pays qui l’utilisent est l’occasion de revenir sur les mythes qui entourent cette monnaie.

Selon ses plus ardents opposants, le franc CFA serait un frein au développement économique des pays africains dont il est la monnaie. Pour certains, il serait même le moyen pour la France d’aspirer des liquidités depuis ses anciennes colonies et donc de s’enrichir honteusement sur le dos de ces pays pauvres.

Une vidéo publiée en 2017 développe ces arguments à grands coups d’approximations et de mensonges purs et simples sur fond de ressentiment anti-français. Deux ans après elle totalise 1,15 millions de vues. Ce qui, pour une vidéo traitant de politique monétaire, est assez remarquable.

Le tweet le plus partagé au sujet du franc CFA reprend lui-aussi l’argument du vol :

 

Particulièrement répandues chez les jeunes issus de l’immigration, ces accusations de spoliation à travers le franc CFA sont loin d’être marginales. Elles s’ajoutent à celles sur le prétendu pillage des ressources africaines par la France et l’Europe actuellement ou lors de la colonisation. Rappelons que les importations françaises de matières premières en provenance d’Afrique constituent une toute petite fraction des importations françaises globales et sont souvent payées à prix d’or (les uraniums kazakh et canadien coûtent moins cher que l’uranium nigérien) et que la colonisation a été une opération financière globalement défavorable pour l’État et l’économie française. On est donc loin du vol si les mots ont encore un sens. Tous ces mythes sur le prétendu pillage de l’Afrique accentuent un ressentiment envers la France et les Français dans la population d’origine africaine et une repentance postcoloniale dans la population d’origine française et européenne qu’on aurait tort de minimiser.

Qui a intérêt à propager ces mensonges ?

  • Des dirigeants africains qui dissimulent ainsi leur propre incompétence et corruption.
  • L’extrême gauche qui spécule sur le ressentiment des populations immigrées et africaines pour tenter de recruter et de propager des idées anticapitalistes.
  • Les militants indigénistes pour qui les Français et les Européens sont la cause de tous les maux de la planète.

La confortable logique du bouc-émissaire français ou européen fonctionne à plein régime et explique la facilité avec laquelle se répandent ces contre-vérités. À tel point que bon nombre d’immigrés ou descendants d’immigrés ont adopté une véritable attitude de créancier envers la France et l’Europe. Une mentalité sur laquelle prospère l’assistanat, la criminalité, l’islamisme et le terrorisme.

Dans le même temps, ces accusations génèrent une mauvaise conscience dans toute l’Europe et en particulier dans les ex-puissances coloniales. Elles grossissent les rangs des ONG et partis politiques militant pour l’ouverture des frontières en réparation des « crimes coloniaux » et du « pillage de l’Afrique ». Elles tétanisent la droite qui n’ose pas faire preuve de fermeté au sujet de l’immigration.

Comment fonctionne le franc CFA ?

Seize pays dont la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Mali, le Cameroun, le Togo et le Gabon utilisent cette monnaie créée en 1945. La France voulait doter ses colonies d’une devise commune qui s’est maintenue après la décolonisation par une volonté partagée de disposer d’une monnaie stable et crédible. Le franc CFA jouit d’une parité fixe avec l’euro et les pays de la zone franc avaient jusqu’à présent l’obligation de déposer 50 % de leurs réserves de change auprès du Trésor public français. Selon un rapport de la zone franc, les deux banques centrales de la zone franc, disposaient en 2005 de plus de 3 600 milliards de francs CFA (environ 72 milliards d’euros) auprès du Trésor français.

Est-ce que le franc CFA explique la pauvreté des pays africains ?

Les plus sérieux des opposants au franc CFA critiquent l’arrimage de cette monnaie à l’euro. Selon eux, la cherté de l’euro occasionnerait des prix à l’exportation trop élevés qui empêcheraient les producteurs africains de vendre à des prix compétitifs à l’étranger et donc de se développer. Malheureusement, sans cet arrimage, il y a de très fortes chances pour que la monnaie des pays africains concernés connaisse, comme dans le cas du Nigéria ou de la Guinée, pays voisins qui disposent d’une monnaie nationale, une très forte inflation. Dans les deux cas, la situation n’est pas idéale économiquement. Il existe des pays africains qui ont quitté le franc CFA, leur économie ne s’est pas significativement améliorée pour autant. Le Mali est revenu sur sa décision et a réintégré le franc CFA vingt ans après l’avoir quitté. Des pays comme la Guinée-Bissau et la Guinée équatoriale ont même décidé d’adopter le franc CFA pour se prémunir de l’inflation qu’ils ont connue dans le passé.

Le Zimbabwe, le pays africain le plus en pointe du combat « décolonial » contrôlait sa propre monnaie depuis 1980. Récemment, des périodes d’hyperinflation délirante et même de famine ont eu lieu dans ce pays qui était pourtant l’ancien grenier à blé de l’Afrique australe. Face à cette situation catastrophique, le pays a, depuis 2015, abandonné sa monnaie nationale et les transactions s’y effectuent dorénavant en devises étrangères. S’il est sain et normal qu’un État batte sa monnaie et détermine sa politique économique en toute indépendance, on voit dans le cas présent que ce n’est pas nécessairement la garantie d’une souveraineté pérenne et encore moins d’une économie florissante. La pauvreté des pays de la zone CFA ne saurait elle non plus se résumer à des causes monétaires.

Les moins sérieux des opposants au franc CFA déforment la réalité au point de prétendre que les réserves de change déposées à la Banque de France seraient du vol pur et simple. Ils articulent même des montants complètement fantaisistes. Pourtant ces réserves restent bien la propriété des pays africains et les intérêts de leur placement sont reversés au pays détenteurs des fonds. Un dépôt de réserve de change n’est pas un impôt et encore moins un vol, même le service Checknews de Libération a dû rappeler cette évidence face à l’avalanche de mensonges et de bêtises dites à ce sujet.

Ce dépôt sert de garantie pour le Trésor français en échange de son engagement à assurer la défaillance des pays franc CFA. En clair, c’est la France qui sort le porte-monnaie si les pays franc CFA se retrouvent en défaut de paiement. Cette garantie rassure les marchés car la valeur d’une monnaie n’est égale qu’à la confiance que les investisseurs étrangers et les opérateurs locaux ont en elle. Et on a plus confiance en la Banque de France ou la Banque centrale européenne qu’en d’autres banques centrales moins établies. C’est donc un système « donnant-donnant », un dépôt contre une garantie.

Symboliquement ce mécanisme a de ça dérangeant qu’il souligne en creux l’incapacité de plusieurs pays africains à garantir et gérer eux-mêmes leur monnaie pour le moment. Si pour les citoyens de ces pays, ce symbole est insupportable, ils ont raison de se lancer dans la création de leur propre monnaie. Mais s’ils veulent être conséquents et réellement indépendants, il ne leur faudra pas réclamer l’aide européenne et l’ouverture des frontières aux réfugiés en cas d’une éventuelle future catastrophe économique.

Est-ce que la France s’enrichit grâce au franc CFA ?

La France n’y gagne rien si ce n’est, indirectement, de s’assurer la stabilité de la monnaie africaine et donc une relative stabilité économique et sociale en Afrique. Une potentielle conflagration économique, les crises humanitaires et les migrations qui s’en suivraient sont une menace suffisamment inquiétante pour que la France se sente le besoin de garantir une certaine paix chez ses voisins africains.

Dans un texte de 2016, l’africaniste Bernard Lugan détaille l’absurdité des accusations sur un éventuel enrichissement de la France grâce à la zone CFA :

En 2015, alors que la totalité de ses exportations mondiales était de 455,1 milliards d’euros, la France a vendu à la seule Afrique sud-saharienne pour 12,2 milliards d’euros de biens et marchandises, soit 2,68 % de toutes ses exportations. Sur ces 12,2 milliards d’euros, la zone CFA en a totalisé 46%, soit environ 6 milliards d’euros, soit à peine 1,32% de toutes les exportations françaises. Pour ce qui est des importations, les chiffres sont voisins.

La zone CFA n’est pas non plus cette « chasse commerciale gardée » permettant aux productions françaises de bénéficier d’une sorte de marché réservé comme certains l’affirment. En 2015, la part de la France dans le marché de cette zone ne fut en effet que de 11,4%, loin derrière la Chine.

Il conclut :

Le poids de la zone CFA étant pour elle anecdotique, l’économie française ne serait donc guère affectée par sa suppression. Politiquement, avec le CFA, nous en sommes davantage aux réactions psychologiques qu’aux analyses argumentées. L’intérêt de la France est donc de le supprimer ainsi que sa zone afin d’en finir une fois pour toutes, sept décennies après les indépendances, avec les lassantes et répétitives accusations de néocolonialisme et de « françafrique ».

Est-ce que la fin du franc CFA est néanmoins une bonne nouvelle ?

Oui, si la monnaie qui le remplace est élaborée sérieusement et apporte les garanties suffisantes pour éviter une inflation trop importante. L’éco prendra vraisemblablement sa suite. L’avenir dira s’il sera plus profitable à l’Ouest africain que le sont les monnaies utilisées actuellement. On peut espérer qu’une période de développement économique attirera dans leur pays d’origine les millions d’Africains qui ont émigré en Europe sans réelles perspectives. Évidemment, si l’expérience est un échec, il faudra s’attendre à de graves remous.

Ne doutons pas que même si le franc CFA était enterré définitivement, on trouverait rapidement quelque chose d’autre pour culpabiliser encore et toujours la France. Les accusations fantaisistes de pillage de matières premières, de néocolonialisme et la sempiternelle repentance sur l’histoire de la colonisation et de l’esclavage sont malheureusement promis à un avenir radieux tout comme l’est la haine des Français et des Européens.

Jean-David Cattin

Illustration : Billet de banque de la Banque centrale de l’Afrique de l’ouest (BCEAO). Valeur : 10000 francs CFA (Zenman)

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