Le premier mandat d’Emmanuel Macron avait vu plusieurs vagues de dissolutions d’organisations politiques : la première les mouvements proches de la mouvance islamiste (Collectif contre l’islamophobie, Baraka City), la deuxième visait les groupes de droite (Génération Identitaire ou Alvarium) et la troisième des groupements antifas (Palestine vaincra, Groupement antifasciste Lyon et environs ainsi que le média Nantes révoltée). Des trois, seule la dernière peut se targuer de bénéficier de la mansuétude du gouvernement : alors que la dissolution de la GALE vient d’être suspendue[1], celle du média Nantes révoltée n’a même pas encore véritablement commencé[2].
La manufacture de l’indignation
Cette différence de traitement doit se comprendre à l’aune de la stratégie déployée par le macronisme (et par son intermédiaire Gérald Darmanin) : il s’agissait pour le gouvernement de dissoudre toutes les organisations politiques et militantes qui ne s’inscrivaient pas a priori dans le règne du bloc centriste. Accusés de « faire le jeu des extrêmes » ou de « mettre la République en danger », ces groupes sont ainsi mis dans le même sac. Les procédures de dissolution reviennent ainsi à mener une gigantesque opération de comm politique : séduire l’aile gauche de la macronie (très contente de la disparition de Génération Identitaire) en même temps que son aile droite (qui ne porte pas les mouvements antifas dans son cœur). Les dissolutions du CCIF et de Baraka City, quant à elles, satisfont finalement les deux ailes républicano-bourgeoisesn partisanes d’un « islam de France », théoriquement meilleur antidote contre l’islamisme.
On serait alors en droit de penser que ces trois catégories d’organisations dissoutes subiraient le même traitement. Ce serait oublier une donnée cruciale : l’hégémonie culturelle de la gauche, ou du moins ce qu’il en reste. Le gouvernement, malgré sa dérive autoritaire, continue de craindre la mauvaise presse. Or, seule la gauche a la capacité et la volonté de mener une campagne médiatique à l’encontre du gouvernement pour dénoncer des dissolutions excessives. La droite rechigne à la tâche, toujours paralysée par son souci de respectabilité, alors que la mouvance islamiste préfère avancer à visage à moitié couvert plutôt que de révéler ses desseins sur la place publique. Logiquement, l’État sera plus frileux pour aller jusqu’au bout de la dissolution d’organisations antifascistes : après tout, s’attaquer aux antifascistes ne revient-il pas à défendre le fascisme ? Et Dieu sait que cette insulte ridicule et galvaudée a encore beaucoup de pouvoir chez les invertébrés du gouvernement.
Les mains sales des bien-pensants
Une autre explication peut s’ajouter à la précédente. Dans le contexte actuel, il est intéressant pour le gouvernement de laisser ces groupements tranquilles. Déjà, parce que les forces de gauches de la NUPES sont en passe de constituer la première opposition parlementaire véritable à la macronie – il semble donc sage de ne pas surmobiliser les forces de gauche en leur fournissant des martyrs sur un plateau d’argent. On peut également conjecturer que l’État a observé que les dissolutions de mouvements de droite avaient encouragé un afflux de militants déterminés à rejoindre l’aventure politique d’Éric Zemmour. Selon la même logique, dissoudre des organisations de gauche pousseraient ses ex-militants à rejoindre une vague mélenchoniste déjà puissante.
N’oublions pas non plus que si les antifas ne sont certainement pas des loyalistes d’Emmanuel Macron, ils remplissent deux fonctions utiles au pouvoir en tant que militants de rue radicaux : intimidation des forces militantes de la vraie droite (les colleurs d’affiches de Génération Z et de Reconquête ! en ont fait les frais à de multiples reprises durant la campagne présidentielle) d’un côté et participation au cassage pendant les manifs de l’autre, ce qui solde par une décrédibilisation des revendications des citoyens mobilisés (comme pendant l’épisode des Gilets jaunes).
Sur le terrain électoral, le gouvernement craint surtout la résistance de la gauche. Mais sur le plan activiste, il est obnubilé par la menace militante que constitue la droite identitaire : il fallait abattre Génération Identitaire, afin que la nullité complice du gouvernement dans la catastrophe multiculturelle reste tue. Et il ne faut surtout pas toucher aux groupuscules gauchistes pour entretenir l’illusion du pluralisme politique.
Qu’on se le dise : l’État de droit dans la France du XXIe siècle n’est pas grand-chose de plus qu’un dispositif permettant à une faction politique au pouvoir de justifier des décisions idéologiques par le vernis du droit et du sérieux administratif. Mais le droit, comme tant d’autres domaines, n’est qu’un espace de plus au sein duquel s’exprime le combat politique. L’incapacité du gouvernement à lutter contre les organisations gauchistes radicales alors qu’elle fait preuve d’une dureté aveugle dans la répression des forces identitaires prouve une chose : les antifas demeurent (selon la phrase maintes fois répétée) les idiots utiles (de plus en plus utiles à mesure qu’ils deviennent de plus en plus idiots) du système.
Clément Martin
[1] https://www.lyoncapitale.fr/actualite/le-conseil-detat-suspend-la-dissolution-du-gale-le-groupe-antifasciste-de-lyon
[2] http://www.preview-nantesre.nantes-revoltee.com/trois-semaines-apres-lannonce-de-dissolution-ou-en-sommes-nous/